Loubli-des-marais

Après que des promoteurs venus de la capitale aient exposé aux Briérons leur projet d’asséchement des marais, réponse d’un conseiller municipal de Saint LYPHARD :

“Messieurs, j’ai bien écouté vos explications, certains ici pourraient peut-être s’en satisfaire, mais ceux-là ne sont pas des enfants de ce pays. Je pense, comme beaucoup de mes concitoyens, que la Brière a un avenir, mais je ne suis pas certain que vous y serez associés.

Vous parlez de la Brière comme d’un marais rempli d’eaux stagnantes, nauséabondes, productrices de maladies. Pouvez-vous me citer un seul cas de ces fièvres, dont vous vous servez pour argumenter vos propos, qui aurait été contracté en Brière ? Vous traitez la Brière de la même façon que les marais de Donges ou de Crossac, où, il est vrai, on a eu à déplorer quelques rares cas de fièvre paludéenne. Vous oubliez de préciser que la Grande Brière n’est pas un simple marais, mais avant tout une tourbière qui, par la perméabilité de son sol, évite justement à ces habitants de souffrir de ces fièvres dont vous parlez.

Quant à sa rentabilité, messieurs de Paris, sachez que, grâce au don fait aux Briérons par François II duc de Bretagne, vous ne verrez jamais l’un de nos compagnons mendier pour vivre. Le tourbage nous permet de nous chauffer, la pêche et la chasse d’améliorer l’ordinaire de notre assiette, la taille des roseaux et des joncs de couvrir nos chaumières, tout cela, plus le libre pâturage de nos vaches, suffit aux besoins de la plupart de nos familles. Nul doute que votre intelligence et votre sens des affaires vous feraient tirer un plus grand profit que nous de la Brière, mais à quel prix pour notre population ?

Alors, je vous pose la question, êtes-vous prêts à dépouiller toute une population, pour satisfaire la volonté spéculative de quelques capitalistes parisiens ? Moi, je vous réponds non et me fais le porte-parole des gens de mon pays. Je vous l’ai dit tout à l’heure, la Grande Brière est notre héritage, elle nous appartient, à tous, au même titre. Nous devons la protéger pour que les générations futures puissent en jouir, comme nous.

J’ai en ma possession la copie d’une lettre dont on m’a fait l’honneur d’être le dépositaire, je l’ai adressée à M. le préfet de Loire inférieure. Les signataires de ce courrier sont tous les maires et conseillers municipaux des communes suivantes : La Chapelle-des-Marais, Saint-Joachim, Montoir, Trignac, Saint-André-des-Eaux, Herbignac, Saint-Lyphard. Vous avez, il est vrai, la possibilité de passer outre l’avis que nous formulons. La loi sera de votre côté, d’ailleurs vous avez déjà l’agrément du ministre des Ponts et Chaussées, mais comme l’a dit avant moi l’un de nos préfets en 1892 : “Il n’est pas envisageable de priver les Briérons de cette terre nourrie de la sueur et du sang de leurs ancêtres.” Sachez que, chaque fois qu’une menace s’abat sur son pays, notre peuple vole à son secours comme un seul homme.

N’oubliez jamais ce qui se dit ici : “Le Briéron est maître chez lui” et il compte bien le rester. Messieurs, je vous salue et je pense que notre pays se passera sans dommage de vos services, bon retour chez vous.”