Les femmes et les couteaux à travers les siècles

Depuis la nuit des temps, la femme manie le couteau. Chasseuse préhistorique, prêtresse antique, guerrière médiévale, pirate, révolutionnaire ou scientifique : chacune tranche, découpe, explore, défend. D’autres tombent sous la lame. Secespita, dague, poignard… le couteau fixe règne jusqu’au XVe siècle, où le pliant fait son apparition dans les poches. Mais derrière chaque lame se cache bien plus qu’un simple outil. Le couteau accompagne les femmes dans leurs gestes quotidiens comme dans leurs actes d’exception. Il soigne, nourrit, tue ou libère. Le couteau reflète une condition sociale, une époque, une lutte. Des vestales aux samouraïs, des reines celtes aux cheffes étoilées, cet article rend hommage aux femmes et aux couteaux qui ont traversé les siècles. Et l’histoire ne fait que commencer.

Les femmes et les couteaux avant l’an mil

À la préhistoire, les femmes fabriquent les outils primitifs, participent à la chasse et à la pêche au même titre que les hommes. Madame homo abilis se sert de silex, d’os et d’obsidienne pour écraser, couper, racler et percer.

Les dagues sacrificielles des prêtresses antiques

La dague sacrificielle de la prêtresse égyptienne Hetpet symbolise le lien entre le monde des vivants et celui des morts.

Les Vestales, vierges purificatrices, possèdent, pour leur part, un couteau spécial : la secespita ou sécespite. Ce poignard ouvre le corps des victimes souvent abattues à la hache.

🗡️ Quelques vestales célèbres : Rhéa Silvia (la mère mythologique de Romulus et Remus), Pompilia, Pinaria.

Agrippine assassinée par le poignard dans la Rome antique

L’empereur Néron en 59 APJC ne supporte plus sa mère trop envahissante. Ses conseillers lui suggèrent une disparition par naufrage. Mais bonne nageuse, Agrippine se réfugie dans sa villa. Anicetus, Herculeius et Obitarius se chargent donc de l’assassiner. Selon les dires de l’historien Tacite, un premier coup de bâton la frappa à la tête. Puis lorsqu’elle aperçut le reflet de la lame du poignard, elle supplia « frappe au ventre ». 

Boudicca mène les Bretons contre les Romains

Reine guerrière celte du 1er siècle, Boudicca (ou Boadicée) dirige la grande révolte des Bretons contre l’occupant romain : C. Suetonius Paullinus. Son armée utilise des poignards, des épées et des haches.
Boudicca incarne l’esprit d’indépendance, de courage et de force. Soutenue par la puissance des druides, elle mène au combat des milliers d’hommes et de femmes. 

Le moyen-âge : les couteaux dans les mains des femmes guerrières

En Occident

Au moyen-âge, les nobles dames utilisent la dague. Outre pour leur protection, ce poignard témoigne aussi du statut, du pouvoir, de la richesse et de l’influence de sa propriétaire. 

Au XVe siècle, Christine de Pizan écrit que « les dames doivent avoir cœur d’hommes…, savoir les droits d’armes… pour assaillir ou pour défendre ».

L’historienne Sylvie Steinberg explique que l’éducation des jeunes filles prévoit de se substituer à leur frère. Cette prérogative pour les femmes nobles s’arrête néanmoins à la participation physique aux combats.

Jeanne Hachette, la Beauvaisienne

Le 27 juin 1472, alors que le héraut bourguignon somme les habitants de Beauvais de se rendre, ces derniers refusent de parlementer. Face aux armes ducales, ils empoignent leurs arcs, arbalètes, couleuvrines et autres couteaux.

Jeanne Laisné repousse avec sa hachette les Bourguignons de Charles le Téméraire. Son geste motive les Beauvaisiennes à la suivre sur les remparts pour défendre leur « bonne ville ». 

En remerciement, le roi Louis XI l’exempte d’impôts à vie.

Jeanne dArc la pucelle dOrleans

Jeanne d’Arc, la pucelle d’Orléans

La jeune « paysanne ignorante » symbolise la résistance lors du siège d’Orléans. Charles VII, le petit roi de Bourges, règne sur le pays d’Oc, mais peine à lutter contre la puissance de Philippe le Bon, duc de Bourgogne, allié des Anglais. 

L’archange Saint-Michel apparaît à Jeanne sous l’aspect d’un chevalier accompagné de deux saintes. Il l’intime de conduire le dauphin à Reims et de « bouter les Anglais hors de France ». Elle rencontre ce dernier à Chinon qui lui fait fabriquer une armure. Quant à sa lame, elle viendrait de la chapelle Sainte-Catherine-de-Fierbois. On raconte que, derrière l’autel, elle y trouve l’épée de Charles Martel. La ville d’Orléans est sauvée le 8 mai 1429. Aux yeux de Jeanne, cette victoire prouve le caractère divin de sa mission. 

Les femmes asiatiques et les couteaux

Les femmes asiatiques et les

Tandis qu’en Europe les femmes luttent pour protéger villes et couronnes, en Asie aussi, certaines prennent les armes.

Au XIIe siècle, sous le premier shogun Yoritomo Minamoto, les femmes samouraïs officient comme agents de police. Elles approvisionnent les soldats et défendent elles-mêmes des domaines féodaux.

La première des guerrières samouraïs, Tomoe Gozen tue Uchida Leyoshi lors de la bataille d’Awazu en 1184. Avec Hangaku Gozen et Takeko Nakano, elle forme le trio légendaire japonais. Leur couteau favori est un naginata, perche surmontée d’une lame. Takeko crée Joshitai : l’armée des femmes.

🗡️ En 1555, Wa Shi mène ses troupes chinoises au combat au nom de la dynastie Ming. Elle porte une épée Dao.

🗡️ En 1705, Mai Bhago dirige les soldats sikhs contre les Moghols avec un long couteau à lame incurvée

Mary Read et Anne Bonny : les ladies pirates

Les deux femmes plus connues de la piraterie féminine s’habillent en corsaires, portent l’épée, manient le poignard et le pistolet. Le capitaine Jonathan Barnett les capture lors de l’abordage du navire de John Rackham. Condamnées à la pendaison, elles « implorent le ventre » (se disent enceintes pour échapper à la mort) et bénéficient d’un sursis. Mary Read décède en prison en 1721.

🔪 Les modèles de couteaux nés au moyen-âge : les couteaux à trancher, le parepain, le petit coustel, le taille-bois, le couteau à huîtres, le couteau à hacher, le hachoir à bascule, le canivet.

🔪 Au XVe siècle, le couteau pliant apparaît avec les vêtements à poches.

La renaissance : les femmes s’effacent mais résistent

La Renaissance et l’influence de Catherine de Médicis éloignent les femmes des armes. Certaines, comme Kit Cavanagh, Hannah Snell, défient néanmoins les lois. Geneviève Premoy s’engage en 1676, déguisée en homme, sous le nom de chevalier Balthazar. Alors qu’elle est blessée, Louis XIV la fait membre de l’ordre de Saint-Louis, mais lui demande de porter la jupe. On dit qu’elle obéit mais se vêtit avec des hauts masculins (non, mais !).

Seuls les spectacles d’escrimeuses montrent les femmes dotées d’épées de guerre, d’épées de côté ou d’épées longues, de cuirasse et de casque.

Alberte-Barbe d’Ernecourt Saint-Baslemont défend tout de même ses terres au début du XVIIe siècle grâce à la science militaire transmise par son père.

La révolution passe par la lame de Charlotte Corday

Dès son plus jeune âge, Charlotte Corday admire les héros de Corneille tel Alcide. À la mort de Louis XVI, elle pleure de voir que « ceux censés donner la liberté ne sont que des bourreaux ». Le 13 juillet 1793, elle s’arrête chez un coutelier et achète un couteau de cuisine. La veille dans son Adresse aux Français amis des lois et de la paix, elle désigne Marat comme le plus « vil des scélérats… tombant sous le fer vengeur ».

Rue des Cordeliers, elle entre dans le domicile du Député de la Convention et, d’une main ferme, plonge le couteau dans sa poitrine. Elle meurt quatre jours plus tard sous la lame de la guillotine.

Charlotte Corday

Pendant la révolution, les femmes appellent le législateur à statuer sur leur droit à porter une arme. Pauline Léon, notamment, écrit une lettre que 300 autres femmes signent. Théroigne de Méricourt prend la parole en faveur de l’armement des femmes pour « se défendre contre les fers et défendre la patrie ». Les hommes rechignent à leur octroyer le port du couteau, symbole de virilité masculine.

L’ère industrielle : la femme s’émancipe et retrouve le couteau

Marie Curie et son couteau de laboratoire

Rue Lhomond, dans le Ve arrondissement, Marie Curie tranche un sac de minerai noir avec la lame de son petit couteau. Ces 100 kilos de pechblende issus du seul gisement d’uranium de l’époque marquent un tournant dans la science.

Woman with daga

Marie Curie, après des études de physique et de mathématiques, démontre que les rayonnements produits par l’uranium sont une propriété  atomique et non chimique.

Avec son mari, elle découvre également le polonium et le radium, encore plus radioactifs que l’uranium. Première femme professeur à la Sorbonne, elle obtient le prix Nobel de chimie en 1911.

Elle marque la 1re guerre mondiale avec ses ambulances radiologiques : les « petites curies ».

La femme à la dague : l’art de la vulnérabilité et de la puissance

En 1899, Ilya Yefimovich Repin, peintre réaliste russe, voit en la dague le symbole de la vulnérabilité et de l’autonomisation des femmes. Le poignard représente la dualité de la vie et de la mort, de la défense et de l’attaque.

Avec ce tableau, Repin donne au sexe dit faible une voix puissante, complexe et chargée d’émotions.

Au XIXe siècle, le couteau s’impose dans la main de nombreuses corporations féminines : les coutelières, filetières de poisson, ouvrières en tannerie, couturières, sages-femmes (lames chirurgicales), coiffeuses, etc.

Les femmes du XXe siècle et les lames

Eugénie Brazier, cheffe étoilée

Lors de la 1ère guerre mondiale, Eugénie Brazier se fait connaître avec sa fameuse poularde demi-deuil. La cuisinière s’émancipe et ouvre La mère Brazier, la table la plus renommée de Lyon dès 1920. Elle gagne deux étoiles en 1932 puis trois en 1933. À partir de 1946, elle présente ses couteaux de chef et forme un jeune cuisinier… Paul Bocuse.

Julia Child et ses couteaux de cuisine à lame en acier carbone

Née en 1912, Julia Child est pionnière dans la représentation de la cuisine française aux USA. Son premier repas en France composé d’huîtres, de sole meunière et de Pouilly fumé lui offre « une ouverture de l’âme et de l’esprit ». Auteure du best-seller, Mastering the art of french cooking, elle évoque, dans une interview au Time, sa préférence pour les couteaux à lame en acier carbone. Elle les trouve plus faciles à affûter que ceux en acier inoxydable.

L’art de la coutellerie au féminin

En 1950, le tableau La femme au couteau de Wifredo Lam (une huile sur toile) présente la figure féminine avec un large couteau dont la lame est tournée vers le spectateur. L’œuvre témoigne des arts cubain, africain et océanien.

Wifredo Lam

Aujourd’hui, les femmes perpétuent avec passion les gestes de la coutellerie artisanale. Elles sculptent, forgent, affûtent, gravent des lames et des manches uniques, fruits d’un savoir-faire longuement transmis ou patiemment acquis. Ces créatrices de couteaux d’art, EDC ou de cuisine redonnent vie à des traditions séculaires. Elles apportent leur sensibilité, leur regard et leur précision. À l’atelier, la main féminine de Charlotte allie finesse et maîtrise technique, dans le respect des matériaux nobles. Le bois de morta, rare et millénaire, trouve ainsi toute sa place dans cet artisanat d’excellence, où chaque couteau raconte une histoire, celle du geste juste et de la matière vivante.

Quelques jolis noms féminins de la coutellerie française : Danae Falcoz (coutelière d’art), Ellia Jouveaux (spécialisée dans la gravure), Stéphanie Mara (styliste coutelière), Elise Richard ou Pascale Sabaté. Notons la présence de Sonia Rykiel parmi les femmes et les couteaux.

Les couteaux ont toujours accompagné le quotidien des femmes à travers les siècles. Dans leurs mains ou face à elles, les lames les ont nourries, défendues ou tuées. Du silex taillé aux lames gravées à la main, les couteaux prennent la forme d’objets de survie, de pouvoir ou de création. Ils dessinent une histoire parallèle, parfois oubliée. Une destinée tranchante, à la fois intime et universelle. De nos jours, les femmes utilisent les couteaux fixes et les couteaux de poche de la même manière que les hommes : à la cuisine, en pleine nature, pour la décoration, le bricolage ou le jardinage. 

Nos sources

Article rédigé par la plume affûtée de Christelle Lorant.🪶 

Merci à Mickael Texier pour la photo de couverture

Les questions clés de l’article

  • Quel rôle les femmes ont-elles joué dans l'art de la coutellerie à travers l'histoire ?

    Depuis la préhistoire, les femmes ont manié le couteau comme outil essentiel de survie. À travers les siècles, elles sont passées de simples utilisatrices à véritables artisanes de l’art de la coutellerie.

    Au XIXe siècle, elles s’imposent dans de nombreuses corporations comme coutelières, filetières de poisson ou ouvrières en tannerie. Aujourd’hui, des créatrices perpétuent avec passion cette tradition séculaire, apportant leur sensibilité et leur précision à cet artisanat d’excellence.

    Des noms comme Danae Falcoz, Ellia Jouveaux ou Stéphanie Mara illustrent ce savoir-faire qui allie finesse et maîtrise technique, tout en respectant les matériaux nobles comme nous le faisons chez Couteaux Morta avec le bois de morta. Le statut des femmes dans ce domaine a considérablement évolué, transformant ce qui était jadis un métier masculin en une pratique artistique accessible à tous les talents, indépendamment du genre.

  • Comment l'évolution des lames a-t-elle accompagné l'émancipation féminine ?

    La relation entre les couteaux et les femmes a suivi l’émancipation de ces dernières. D’abord simples outils de survie à la préhistoire, les couteaux deviennent au fil du temps des symboles de statut et de pouvoir pour les femmes. La révolution majeure survient au XVe siècle avec l’apparition du couteau pliant, né avec les vêtements à poche, rendant l’outil plus accessible et discret.

    Au XXe siècle, des figures comme Eugénie Brazier, première cheffe triplement étoilée, ou Julia Child, préférant les lames en acier carbone, illustrent cette émancipation par la maîtrise d’outils professionnels.

    Cette diversité croissante de couteaux a contribué à transformer la place des femmes dans des domaines comme la gastronomie, où elles ont pu démontrer leur excellence et prendre place dans des territoires auparavant dominés par les hommes.

  • Quelle est la symbolique du couteau tranchant dans l'histoire des femmes guerrières ?

    Le tranchant de la lame a symbolisé la dualité entre vulnérabilité et puissance féminine. Des figures comme Boudicca, reine celte du 1er siècle, jusqu’à Charlotte Corday pendant la Révolution française, ont utilisé le couteau comme instrument de résistance et de combat.

    Pour les femmes nobles du Moyen Âge, la dague était à la fois un accessoire de protection et un symbole de richesse et d’influence. Les samouraïs féminines comme Tomoe Gozen maniaient le naginata avec une efficacité redoutable. Même lorsque la Renaissance tend à éloigner les femmes des armes, certaines comme Alberte-Barbe d’Ernecourt défient ces restrictions.

    L’œuvre “La femme à la dague” d’Ilya Yefimovich Repin (1899) présente cette ambivalence où la lame devient symbole d’émancipation. Cette longue histoire montre comment le couteau a permis aux femmes de prendre leur destin en main, transformant un simple objet en vecteur de pouvoir et d’identité féminine à travers les âges.

  • Comment les innovations en coutellerie contemporaine ont-elles redéfini les pratiques féminines ?

    Aujourd’hui, une grande diversité de modèles permet une utilisation plus adaptée aux besoins spécifiques. Les matériaux modernes comme les aciers de haute performance ont fait évoluer la qualité des lames sans compromettre leur tranchant.

    La ville de Thiers, avec son Musée de la coutellerie, demeure un centre historique français important de cet artisanat. Le design est devenu un élément central, transformant le couteau en véritable pièce d’art utile au quotidien. Les étuis et accessoires se sont également diversifiés, rendant ces outils plus attrayants.

    Qu’il s’agisse d’usages professionnels ou domestiques, cette évolution a contribué à normaliser l’utilisation des couteaux parmi les femmes, redéfinissant leur rapport à cet objet ancestral dans ce domaine d’excellence.

  • Quel a été l'apport de l'or et des matériaux précieux dans l'art de la coutellerie féminine ?

    Dans l’histoire, les dagues et poignards ont été des symboles de statut. Au Moyen Âge, les nobles dames utilisent la dague qui témoigne aussi du statut, du pouvoir, de la richesse et de l’influence de sa propriétaire. Ces pièces d’exception illustrent le raffinement typique de certaines périodes historiques.

    Les artisans contemporains comme Danae Falcoz, perpétuent cette tradition d’excellence. Le Musée de la coutellerie est une référence à ce patrimoine. Aujourd’hui, les femmes utilisent les couteaux de la même manière que les hommes, que ce soit pour la cuisine, le bricolage ou d’autres activités quotidiennes.

    Cette évolution montre comment le couteau est passé de symbole genré à outil universel, transformant sa perception à travers les générations et les pratiques sociales.

  • Comment les femmes artisans ont-elles transformé les nouvelles tendances en coutellerie ?

    Les femmes artisans ont apporté une vision novatrice à la coutellerie, enrichissant ce secteur traditionnellement masculin. Grâce à leur sensibilité, elles ont créé des modèles uniques, qui allient finesse et maîtrise technique, dans le respect des matériaux nobles.

    D’ailleurs, des créatrices comme Elise Richard ou Pascale Sabaté, utilisent leurs talents pour fabriquer des pièces d’exception. Ainsi, à travers leur travail, ces artisanes contribuent à maintenir vivante une tradition séculaire tout en y apportant leur touche personnelle, illustrant peut-être une nouvelle ère dans l’histoire de la coutellerie où les femmes jouent un rôle de plus en plus important.

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